07/06/2023

Note d’introduction sur les relations entre la Chine Populaire et l’Inde

Le monde occidental, s’il a connu une période de domination mondiale au cours des deux siècles précédents, n’est pourtant plus le seul axe des conflits et tensions majeures, les vielles civilisations qui ont imprimé l’humanité de leurs innovations dans les siècles et millénaires ressurgissent et se réaffirment comme puissances inévitables, entendant bien donner un nouveau rythme à la politique mondiale. 

Ainsi, aujourd’hui, l’Inde et la Chine sont les pays les plus peuplés, à eux seuls, ils représentent quasiment ¼ de la population terrestre, les deux sont des puissances nucléaires, tous deux connaissent des bouleversements économiques importants, tous deux entendent construire un nouvel avenir moins occidentalo-centré et surtout les deux représentent de très vieilles civilisations dont l’histoire riche et profonde s’étend jusque dans la plus haute antiquité et auxquelles l’humanité doit des innovations majeures qui ont éclairé les âges. 

L’Inde comme la Chine renouent avec ce passé plurimillénaire, parfois de façon que nous ressentons comme illibéral voir totalitaire dans le cas Chinois. L’Inde et la Chine se sont mutuellement influencées depuis l’aube des temps. Les religions indiennes étant arrivées en Chine par les routes de la soie, fondant avec les traditions philosophico-politico-religieuse chinoises un syncrétisme qui sera responsable de la spiritualité chinoise jusque de nos jours. La très longue histoire de ces deux civilisations fut, en dépit de leur taille, de leur importance, de leur influence et de la nature expansionniste et impérialiste de certains régimes qui on prit racine dans ces deux régions, des relations essentiellement pacifiques jusqu’à l’époque moderne où les lignes civilisationnelles peu claires qu’il peut exister entre les deux états dans les peuples himalayens, toujours tiraillés culturellement entre des acceptations à la foi sinisante (ou tout du moins tibétisantes) et indianisantes. L’Empire Britannique venant apporter des frontières politiques tangibles dans ces régions de confins aux contours flous qui n’étaient ni la priorité des Mogols ni du Huangdi. 

C’est la ligne McMahon que les Britanniques ont tracé avec les Tibétains durant leur brève période d’indépendance de celui-ci et la Chine de Yuan Shikai. À noter qu’avant l’unification indienne, les Sikhs ont affronté l’Empire Qing pour leur reprendre le contrôle du Ladakh au Tibet, cet affrontement est encore à la racine des tensions territoriales actuelles autour de l’Aksai Chin que l’Inde considère comme appartenant au Ladakh et la Chine comme appartenant au Xinjiang et au Tibet. 

La fin de l’empire en Chine, avec le lot de renouveau politique et culturel, mais aussi avec la lutte pour l’indépendance indienne, fut l’occasion de grands rapprochements politiques et surtout intellectuels entre les membres de ces deux grandes civilisations. Ainsi, historiquement, en dépit de toutes les relations entre Chine et Inde, leurs relations étaient plus marquées par la paix et l’échange que la guerre, les grands penseurs des deux pays notant d’ailleurs plus les points communs entre les deux que d’éventuels points de contention jusqu’à aujourd’hui où, au contraire, les tensions intellectuelles sont très palpables, notamment du côté indien.

Néanmoins, ces deux « états-civilisations », en dépit de tous leurs points communs, sont l’un vers l’autre dans une position d’opposition très radicale. Si l’Inde est bel et bien par définition tournée plus vers son opposition envers le Pakistan (bien qu’aujourd’hui la Chine la préoccupe davantage) et que la Chine, quant à elle, regarde de l’autre côté du détroit, vers Taïwan et vers l’autre côté du Pacifique, vers les États-Unis pour trouver son principal rival, le fait est que les deux pays, qui ont connu la guerre entre eux, sont dans une phase d’affrontement et de rivalité tout à fait importante dans laquelle l’Occident joue un rôle. 

En effet, de nombreux affrontements territoriaux rajoutent des tensions entre les deux pays, que ce soit en mer ou à leur frontière commune. L’Occident, dans sa lutte contre la Chine, voit ainsi dans l’inde un partenaire de choix potentiel et la Chine, en dépit de ses affrontements, ne peut s’empêcher de voir en l’Inde une opportunité stratégique tant les deux seront amenés à prendre de la prééminence dans les décennies à venir au détriment des vieilles puissances.

Plusieurs sujets viennent en tête en ce qui regarde les relations actuelles entre l’Inde et la République Populaire de Chine.

Tout d’abord, les grandes tensions aux frontières. En effet, deux régions du territoire sont contestées par la Chine, et des affrontements ont lieux encore très récemment entre soldats des deux puissances. Comme nous l’avons vu précédemment, deux régions sont au cœur de ces luttes : les régions frontalières du Ladakh et du Sikim. 

En 2020 plusieurs affrontements ont eu lieu dans ces régions, il y eu des affrontements au corps à corps entre soldats chinois et soldats indiens, mais aussi des échanges de feu et des captures de prisonniers. La Chine s’était aventurée plus en profondeur dans ces régions avec leurs stratégies d’encerclement progressive, profitant du fait que la région soit peu répertoriée et ne requiert pas toute l’attention du pouvoir fédéral indien. La Chine a lancé de multiples incursions, car le gouvernement indien, entrepreneur de nouvelles politiques d’infrastructure dans ces régions que la Chine, considérait comme menaces envers sa souveraineté. L’Inde a ainsi perdu du terrain durant cette période d’escarmouches dans la région, ce qui a été mis sur le compte d’une méconnaissance des spécificités de celles-ci dont la couleur culturelle est plus proche du monde tibétain que de la culture indienne aryo-dravidienne. 

La proximité de l’Inde avec le peuple tibétain, voisin géographique et descendant spirituel via le bouddhisme, participe grandement de ces tensions, l’Inde étant la terre d’accueil du Dalaï Lama et du gouvernement tibétain en exil, et il est donc important pour la Chine, qui souhaite affermir sa domination sur le Tibet, de garder une grande proximité avec les régions tibétophones des confins de l’Inde qui peut servir de base arrière à des mouvements nationalistes tibétains contre le pouvoir Han du PCC. 

Ainsi la guerre sino-indienne de 1962, au temps de Nehru et Mao, a, outre les luttes territoriales à proprement parler, comme casus belli la présence du Dalaï Lama en Inde. Cette guerre beaucoup plus ouverte que les escarmouches de 2020 avait fixé les lignes de démarcations qui servaient de frontière effective entre les deux nations-civilisations, frontières qui restèrent relativement stables jusqu’en 2020. Les deux états s’étaient mis d’accord sur une clarification de celle-ci dans les années 90 jusqu’à 2020 où la Chine a décidé de dénoncer cet état de fait, prétextant qu’un tel processus de mise au point entrainera plus de tensions, tensions qu’elle causa la même année avec ces incursions qu’elle n’aurait pas pu sécuriser si elle n’était pas revenue sur ce processus d’entérination des frontières conquises en 62 et qui revenait au maintien d’un statu quo ante bellum.

Puis la question du Pakistan, au-delà des questions de frontières et des questions tibétaines, vient perturber les relations sino-indiennes. En effet, le Pakistan et l’Inde sont deux nations ennemies en dépit de leurs racines communes, s’étant séparées sur des lignes territoriales pour des questions religieuses depuis leur indépendance face à l’Empire Britannique et sont depuis en opposition radicale, ayant eu plusieurs guerres ouvertes entre les deux nations et ayant tous deux développé un arsenal nucléaire pour le tourner vers l’autre.

Or la Chine a établi une relation spéciale envers le Pakistan, pour de nombreux motifs stratégiques. Le Pakistan est un atout de poids dans la stratégie chinoise, permettant à la République Populaire d’avoir un accès de premier choix au port de l’Océan Indien dans le cadre à la fois du « Collier de Perle » et des nouvelles routes de la Soie dont le Corridor Économique Sino-Pakistanais est un des axes majeur. Les projets économique et structurel conjoint pakistanais et chinois posent problème à l’Inde qui se retrouve encerclé du fait de la poussée chinoise dans les îles de l’océan Indien et du fait que de tels projets économiques justifient une présence militaire chinoise accrue sur la terre même de leur plus vieux et virulents ennemis.

Pour ce qui est de Taïwan, les choses sont plus complexes, si l’Inde fût un des premiers pays à reconnaitre la Chine Populaire, l’Inde et Taïwan ont depuis quelques années entrepris un rapprochement, bien que l’Inde reste sur ce sujet moins enthousiaste que les occidentaux en dépit de son opposition fondamentale à la Chine Communiste. 

Si les contentieux sont forts entre l’Inde et la Chine, la question taïwanaise n’est pas le cœur de la discorde, l’affrontement entre les deux grandes puissances étant avant tout continental, bien que la question du fameux collier de perle dans les nouvelles routes de la soie puissent participer, elles aussi, à l’animosité qui anime les deux pays, la Chine faisant étendre à l’océan Indien sa zone d’influence et travaillant en cela avec le Pakistan, ennemi héréditaire de la nation indienne.

Ensuite, la place de l’Occident dans les relations entre l’Inde et la Chine est fondamental. En effet, l’inde en tant que force non-occidentale nucléaire en Asie et non-alignée, tout en étant hostile à la Chine, fait que celle-ci est courtisée par de nombreux pays qui en voit une alternative au géant chinois ou comme un allié de poids qui servira quelque soit les ambitions stratégiques. 

La France, par exemple, se rapproche profondément du géant indien, en témoigne des nombreux contrats d’armement ou encore comme l’illustre l’invitation lancée en 2023 par Emmanuel Macron à Nahrendra Modhi pour venir assister au défilé du 14 juillet. La France depuis longtemps s’est rapprochée de l’Inde, vendant aux pays des avions Rafale, multipliant les échanges technologiques et industriels, mais aussi les marques d’affection entre les deux leaders, en dépit de leurs différences politiques flagrantes. Mais outre la France, les États-Unis aussi ont cherché à se rapprocher grandement de l’Inde dans le but explicite de contourner la Chine. 

Ainsi, Donald Trump et Nahrendra Modhi entretenaient tous deux une excellente relation, allant chacun animer des meetings électoraux gigantesques et professants leur alliance, spécifiquement contre la Chine, là où les relations américano-indiennes étaient par le passé plus contrastées. Les États-Unie et l’Inde ont été rejoints par le Japon et l’Australie pour former le groupe informel dit du QUAD, pendant élargie aux puissances non anglo-saxonne de l’AUKUS, multipliant les manœuvre militaire contre la Chine et pour la défense de Taïwan dans le cadre de l’ « Indo-Pacifique libre et prospère » théorisé par l’ancien premier ministre du Japon le regretté Shinzo Abbe qui lui aussi avait développé une relation très personnelle de leader à leader avec le Premier Ministre Modi.

Mais tout n’est pas rose entre Occident et Inde, tout comme tout n’est pas noir entre Chine et Inde. En effet, l’Inde coopère avec la Chine de façon presque paradoxale à beaucoup des choses que nous venons de survoler dans diverses organisations, parmi celles-ci les BRICS, étant les respectifs I et C, ayant notamment pour ambition de parvenir à une dédollarisation de l’économie mondiale et de créer une alternative au système SWIFT. 

En outre, l’Inde est membre de plein droit de l’Organisation de Shanghai, signe que l’opposition entre les deux nations n’est pas systémique, et ne peut être vue en noir et blanc, étant plus marquée par des tensions circonstancielles et particulières, circonscrites à des lieux et des questions particulières, et non pas donc une opposition idéologique et structurelle comme celle qui oppose Chine et Occident. 

Néanmoins, il est intéressant de constater la montée radicale d’un sentiment antichinois dans les médias indiens dans lesquels la figure du Chinois commence petit à petit à supplanter le traditionnel adversaire Pakistanais, tandis qu’à l’inverse, le monde chinois a tenté « des mains tendues » au public indien notamment avec le cinéma où des films en coproduction avec Bollywood ont pu être entrepris dans le but de forger l’idée d’un partenariat non occidental entre les deux vieilles civilisations. 

En Conclusion, il existe un affrontement entre l’Inde et la Chine pour des questions territoriales et pour des politiques de voisinage, les deux nations ont en commun une longue histoire qui remonte littéralement dans les millénaires et ce sont les deux seuls pays à avoir dépassé le milliard d’habitants, si tous deux peuvent prétendre devenir des nouvelles puissances majeures, leurs économies étant en expansion et ils sont tous deux des forces militaires et nucléaires que l’on ne peut ignorer (sans compter la force économique et d’influence et l’étendue de leur diaspora, à la fois intégrées, mais gardant un lien irréfragable avec leur nation d’origine), et si tous deux se battent pour des territoires, il n’y a pas de pure rivalité comme on peut l’attendre de grandes puissances (bien que l’animosité de l’Inde envers la Chine commence à devenir plus grande) celles-ci acceptant de coopérer quelques fois sur d’autres sujets. 

Comme beaucoup d’autres puissances non occidentales (pensons par exemple aux relations entre la Russie et la Turquie) les relations entre ces deux pays sont marquées avant tout par la realpolitik et les besoins de l’instant T, plus que par les luttes systématiques comme celles que l’on a connues autrefois où les états établissaient entre eux de claires rivalités, comme l’Occident fait aujourd’hui vis-à-vis de la Chine essayant d’ailleurs, et y arrivant tout de même relativement, d’engager le géant Indien à leur côté, lui qui reste plus de marbre face, par exemple à la Russie.

Bibliographie :

La Pérégrination vers l’Ouest, Wu Cheng En

Chine-Inde la Grande Compétition, Gilbert-Etienne, 2007

Géopolitique de l’Inde, Olivier Guilard, 2012

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Cold War in the High Himalayas, S Mahmud Ali, 2019

The Frontier Complex: Geopolitics and the Making of the India-China Border, 1846–1962, Kyle J Gardner, 2021

China’s Strategy Toward South and Central Asia: An Empty Fortress, Adrew Scobel, 2014

India-China Maritime Competition: The Security Dilemma at Sea, Rajesh Manohar Basrur, 2019

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https://en.wikipedia.org/wiki/2020%E2%80%932021_China%E2%80%93India_skirmishes

https://fr.wikipedia.org/wiki/Relations_entre_la_Chine_et_l%27Inde

https://en.wikipedia.org/wiki/Line_of_Actual_Control

https://en.wikipedia.org/wiki/Sino-Indian_War

https://en.wikipedia.org/wiki/China%E2%80%93India_relations

https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20221016-inde-et-chine-les-deux-g%C3%A9ants-asiatiques-entre-rivalit%C3%A9s-et-interd%C3%A9pendances

http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/inde-et-chine

https://www.chine-magazine.com/la-chine-et-linde-partenaires-ou-ennemis/

https://www.allnews.ch/content/points-de-vue/rapports-tendus-entre-la-chine-et-linde

https://www.institut-ega.org/l/les-relations-sino-indiennes-histoire-evolutions-recentes-et-perspectives-d-avenir/

https://www.cairn.info/revue-herodote-2019-2-page-29.htm?ref=doi

https://carnegieendowment.org/2022/12/14/where-do-china-india-relations-stand-event-8003

https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/asie-visions/relations-entre-linde-taiwan-plaidoyer-un-partenariat

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https://www.investindia.gov.in/fr-fr/country/taiwan-plus

https://en.wikipedia.org/wiki/String_of_Pearls_(Indian_Ocean)#Pakistan

https://youtu.be/L95tVbz5fk8

https://www.diploweb.com/Quel-est-l-ADN-des-relations-sino-indiennes-Entretien-avec-Kanti-Bajpai.html

https://www.diploweb.com/Relations-Inde-Chine-des.html

https://en.wikipedia.org/wiki/China%E2%80%93Pakistan_Economic_Corridor