Depuis la mort de Lyndon B Johnson en 1973, 35ème Président, il y a plus de 50 ans, aucun ancien président démocrate des Etats-Unis n’est mort jusqu’à ce 29 décembre 2024, date de la mort de Jimmy Carter à l’âge canonique de 100 ans.
Si l’exercice de la présidence ne représentait finalement que 4% de sa longue vie, Jimmy Carter par son caractère autant que son bilan, pourtant contrasté, a su laisser une trace importante dans la politique américaine.
Né en octobre 1924 dans l’état de Géorgie, dans la ville de Plains où il mourra 100 ans plus tard, Jimmy Carter avant de faire de la politique (et de façon fameuse de devenir fermier exploitant la cacahuète) aura une carrière dans la Marine en tant que sous marinier ou il s’illustre à de nombreuses reprises durant ses six ans de carrière à partir de 1946, notamment lors d’un incident nucléaire durant lequel il descendit durant 90 secondes au coeur d’un réacteur en fusion.
Malgré ce service et cet héroïsme, le passage le plus connu de la vie de Jimmy Carter avant sa présidence restera sa vie de fermier produisant des cacahuètes qui reste une des images les plus associée à l’ancien président à jamais vu par le public comme un fermier du sud.
Il quitte néanmoins la ferme et s’investit dans la politique de son état dès 1963, d’abord en tant que sénateur où il s’engage dans un premier temps, à cette époque de tension raciale élevée dans le Sud en faveur de l’intégration des afro-américains. Attitude qui changera au gré des campagnes et au gré de l’évolution de ses valeurs personnelles et religieuses.
Engagé auprès des Kennedy, c’est bien en tant qu’opposant à la ségrégation qu’il fit ses premières armes, notamment, en contestant les tests de littérature imposés pour l’accès au corps électoral, instrument clef du système de Jim Crow privant ainsi de nombreux afro-américains de leurs droits politiques et civiques.
Souhaitant s’investir dans la course pour devenir gouverneur de Géorgie en 1966, il fit face à des candidats ségrégationnistes et sa défaite face à eux dans les primaires démocrates a, d’une certaine façon, participé à son éveil spirituel. Étant chrétien évangélique, il se déclare “born again” (terme qu’il participa à populariser dans le monde protestant hors des cercles évangéliques), sa foi sera un des grands éléments moteur de sa vie humanitaire comme politique.
Mais ce n’est pas encore via la foi qu’il arrivera à s’imposer sur la scène géorgienne face à ses concurrents démocrates ségrégationnistes mais bien par une stratégie électorale autant cynique qu’ambitieuse, de tenter de plaire à la fois aux populations afro-américaines mais aussi aux démocrates sudistes ségrégationnistes soutenant George Wallace (qui lui aussi connaîtra une expérience religieuse “born again” et se retournera contre la ségrégation dans la seconde partie de sa vie où il rejoindra le parti républicain) et s’associant publiquement avec lui, notamment en s’opposant au “busing”, pratique visant à déségréger les écoles sudistes. Il critique aussi son opposant sortant au poste de gouverneur Carls Sanders dans les élections de 1970 pour avoir soutenu Martin Luther King et avoir célébré des victoires d’équipes sportives afro-américaines.
Lorsqu’il est élu, il déclara néamoins à son discours d’inversiture en Géorgie que l’âge de la discrimination raciale était terminé, ce, à la grande déception d’une partie des démocrates sudistes qui l’avait soutenu mais au soulagement des activistes des droits civiques avec lesquels il avait commencé à créer des liens.
Une fois gouverneur, il continua néanmoins les ambivalences, continuant de s’opposer au busing mais s’attirant l’ire du Ku Klux Klan en accrochant le portrait de Luther King, lui aussi géorgien, dans les grands bâtiments de l’État.
Il rétablira aussi la peine de mort dans l’Etat, chose qu’il regrettera plus tard.
Dans les élections de 1972, il se rapproche encore une fois de George Wallace afin de contrecarrer au sein du parti démocrate l’influence du libéral McGovern en représentant la vieille branche sudiste du parti démocrate pour tenter en vain de limiter la casse qui arrivera en 72 avec la réélection triomphale de Richard Nixon.
Il se présente aux élections de 1976 dans un contexte national où il ne bénéficie pas d’une grande notoriété même en tant que gouverneur d’un grand État comme la Géorgie qui n’était pas encore aussi central dans la stratégie électorale qu’aujourd’hui.
Il parvient à contrecarrer ce manque de notoriété grâce aux moqueries de ses adversaires qui demandaient qui il était, ce à quoi il répondait que son nom était “Jimmy Carter, candidat à la présidence”.
Passant pour un conservateur modéré et un chrétien, dans un contexte où le parti républicain est très affaibli à la suite de la démission de Richard Nixon et l’impopularité de Gerald Ford, président sans n’avoir jamais reçu de vote, J.Carter s’impose petit à petit durant les primaires à la fois grâce à son soutien modéré à la ségrégation auprès de ses compatriotes sudistes démocrates mais aussi via des promesse de paix.
Remportant la nomination démocrate il s’impose face à G.Ford grâce à une coalition étonnante de sudistes ségrégationnistes, de chrétiens évangéliques (qui pour la première fois, juste avant leur arrimage au parti républicain de R.Reagan, se mobilisent en masse pour un candidat pour des questions de moralité) mais aussi de jeunes “boomers” qui souhaitent sortir de l’ère républicaine de Nixon et attirés par la campagne pour la première fois remplie de stars de la musique ralliées à J.Carter.
Ainsi, J.Carter remporte l’intégralité des États du sud ainsi qu’une partie de la nouvelle Angleterre et du Midwest tandis que G.Ford domine les États de l’ouest.
Une fois installé à la maison blanche, le président Jimmy Carter, 39 ème personne à occuper cette fonction, se montra fidèle à son électorat jeune qui lui donna sa confiance, en réalisant, dès son deuxième jour dans le bureau oval, une amnistie générale pour tous les objecteurs de conscience dans la guerre du Vietnam.
Son unique mandat fut marqué de nombreuses crises économiques et géopolitiques mais ne fut pas non plus exempt de réalisations comme la dérégulation de l’industrie aérienne.
Il créa aussi le Department of Education qui plaça l’éducation sous le régime fédéral et dont aujourd’hui le président Donald Trump et les libertariens souhaitent la fin car considéré comme responsable de la chute du niveau scolaire américain et comme étant une trop grande compétence que s’arroge l’état fédéral sur ce qui est censé être du ressort des Etats.
Il supervisa le traité sur la canal du Panama qui prévoyait de céder le contrôle du canal à la nation du Panama et que le Président Trump conteste aujourd’hui du fait de la mainmise du CCCP sur le canal qui était jusque-là territoire américain.
Partisan initial de la l’apaisement, il participa aux deuxième agrément du SALT mais dut faire face à des moments tendus de la guerre froide, comme l’invasion de l’Afghanistan en 79 et ainsi mit fin à l’apaisement notamment via le boycott des jeux de Moscou.
Sur les questions internationales, il pu compter sur le soutien du brillant stratège d’origine Polonaise Zbigniew Brzezinski qui lui conseilla de faire preuve de plus de fermeté face à l’adversaire soviétique notamment en ce qui concerne la défense des droits de l’Homme ou encore la défense de la souveraineté de la Pologne. C’est ainsi sous ses conseils avisés que Jimmy Carter continua l’ouverture de la Chine de Deng Xiaoping à l’Occident entamée durant la précédente administration républicaine par le tandem Nixon-Kissinger.
Mais l’événement le plus marquant dans le domaine des relations internationales lors du passage de J.Carter à la Maison Blanche est certainement la Révolution islamique en Iran de 1979 qui voit le régime impérial et moderniste bien qu’autoritaire du Shah, grand ami des Etats-Unis (et de Richard Nixon) être renversé au profit d’une dictature théologique extrêmement hostile. Cette révolution provoquat le second choc pétrolier qui impacta très durablement l’économie américaine du fait d’une grande inflation et menera à la crise des otages de l’ambassade américaine de Téhéran qui ne manquera pas de faire passer auprès du public américain le Président Carter comme faible et incompétent.
Réputation exagérée du fait des nombreuses gaffes qui ont échelonnées sa présidence, notamment un épisode fameux durant lequel le Président fut attaqué par un lapin lors d’une promenade en barque, épisode ne manquant pas de le ridiculiser auprès de la nation entière.
S’il est clair que la présidence de Jimmy Carter ne fut pas aussi rayonnante stratégiquement que ne furent celles de Kennedy, Nixon ou Reagan et que Jimmy Carter eut peu de chance au regard du contexte international, il ne faut tout de même pas tout effacer de son action.
Ainsi le Président Carter fut très investi dans la politique au Proche Orient et le restera encore bien après sa présidence (parfois au prix de déclarations sulfureuses sur Israël) ainsi, il fut l’artisan des accords de Camp David en 1978 entre l’Égypte et Israël qui a permis un temps de stabiliser la région et qui valurent à Anouar El Sadat et Menahem Béguin, les co signataires, le prix nobel de la Paix.
La crise économique, les tensions à l’international jurant avec l’aspect gaffeur et pacifiste que revêtait l’image publique de J.Carter, et la montée de Ronald Reagan qui su capter l’électorat conservateur évangélique que Carter avait précédemment réussi à gagner, eu raison de sa présidence. L’élection de 1980 étant un raz de marée victorieux pour les républicains.
Un fameux gag du journal satirique The Onion a immortalisé la faiblesse en image de Carter, présentant les deux candidats face à face avec une question “quel message raisonnera le mieux avec les électeurs ?” : pour Carter “Et si nous parlions d’une amélioration du système du cadastre” et pour Reagan “Tuer les bâtards”.
L’Amérique n’était plus dans les dispositions pour un Président centriste et pacifiste comme J.Carter qui finalement ne fut qu’une parenthèse démocrate dans la domination républicaine depuis 1969, interrompue seulement qu’en raison du scandale du Watergate puis grâce à l’image charismatique, capitaliste et conservatrice que renvoyait le télégénique Ronald Reagan qui semblait, de façon plus raisonnante correspondre, aux attentes américaines plutôt que le fermier sudiste mesuré Carter qui ne semblait pas faire le poids dans la guerre froide.
Le seul mandat et le relatif échec de sa présidence (les historiens le jugeant comme un président parmi les moins marquants et efficaces) néanmoins n’efface rien à la valeur de l’homme public Carter qui s’illustra de façon beaucoup plus éclatante durant sa vie post-présidence, engagement dans l’action humanitaire pour lequel il reçu le prix Nobel de la Paix en 2002.
Mu par sa foi chrétienne profonde, il agit dans de très nombreux domaines, notamment, pour la construction de maisons pour les plus démunis via l’organisation Habitat for Humanity. Il participe aussi à de nombreux efforts diplomatiques toujours dans le sens de la paix.
Il participa activement à de nombreuses campagnes pour venir en aide aux victimes d’ouragans et, avec l’OMS, contribua efficacement à l’éradication de la maladie du ver de Guinée.
Jimmy Carter, plus qu’aucun autre ancien président, a su se forger dans l’imaginaire américain comme un homme ayant su faire preuve d’humilité et de dévotion.
Le consensus retient qu’il fut l’un des présidents les moins marquant mais un des meilleurs hommes à avoir exercé la présidence.
Si son bilan présidentiel est mitigé, comme son action internationale comme nationale, en grande partie remise en cause par les politiciens d’aujourd’hui, son bilan humanitaire est, lui, reconnu et célébré par des citoyens et des hommes d’état des deux côtés de la division politique américaine.
Au jour de sa mort, c’est ainsi surtout cette image d’un ancien homme d’état chrétien et humaniste, agissant pour les plus démunis et au service du bien commun de la façon la plus désintéressée et efficace que possible qui domine dans l’appréciation de ce personnage qui ne fut certainement pas uniquement que le président d’un seul mandat.