15/08/2023

Napoléon et le blocus continental – Histoire

1812, après avoir emmené la Grande Armée à travers l’Europe, dans une épopée militaire presque sans égale, Napoléon s’arrête face aux duretés de l’hivers Russe. Comme Alexandre en Inde, il est allé trop loin, l’aventure impériale semble avoir finalement franchie des limites qui n’avaient cessé d’être repoussées depuis les premières campagnes de l’Empereur.

 Si pour le commun du public, les pourquoi du comment de la campagne de Russie semble parfois incompréhensibles, cette funeste campagne avait, en fait, une mission précise, un objectif simple, ancré dans la géopolitique de son temps : s’assurer le maintien du blocus continental.

Si l’économie n’est pas quelque chose que l’on associe spontanément comme raison aux guerres napoléoniennes, ou à l’histoire française dans sa globalité, le fait est que ce blocus continental ait été instauré en 1806 par l’Empereur à toute l’Europe est une réalité. Son but ? Ne pouvant vaincre l’Angleterre via les mers, suite à la défaite de Trafalgar, il s’agissait de les battre par la terre en la frappant sur son point faible : sa dépendance au commerce et donc au bon déroulé du libre-échange européen.

L’Angleterre, ennemi historique de la France, est le cerveaux derrière la formation de toutes les coalitions s’opposant au projet européen de la France révolutionnaire et impériale.

Craignant que la France; animée de cette ferveur nouvelle et ayant à sa tête un des plus grands stratèges de l’histoire, parvienne à unifier le continent sous son égide, l’Angleterre, qui ne tient sa puissance supérieure qu’aux divisions politiques continentales et à sa maîtrise des mers, a alors la possibilité de mettre à profit sa supériorité économique dans la lutte contre l’hégémonie française.

Protégée par la Manche et l’Atlantique, devenue intouchable par ses victoires maritimes, l’Angleterre a tout intérêt à ce que les guerres continuent sur le continent, lui permettant, par ce fait, de mieux s’affirmer en voyant ses concurrents et potentiels rivaux s’épuiser dans cette série de guerres qui sont probablement, à l’époque, les plus coûteuses en vies.

La stratégie de Napoléon est donc, sur le papier, entièrement compréhensible, afin de combattre l’Angleterre ennemie : ne pouvant directement l’attaquer, il l’a détruira par des moyens indirects.

Suite à ses victoires militaires éclatantes durant la Guerre de la Quatrième Coalition, marquée par des batailles qui font partie des plus grandes de l’épopée Napoléonienne comme Iéna ou la bataille d’Eylau pendant laquelle la charge de cavalerie de Murat aura marqué les esprits. La victoire de Friedland permet à l’Empereur d’imposer aux Prussiens et aux Russes, le traité de Tilsit qui s’assure de la fermeture de leurs ports aux intérêts commerciaux anglais, réalisant la plus grande peur des britanniques : l’union entre les grandes puissances continentales centrales du Rimland et du Heartland.

Ainsi les principaux ports de l’Europe sont fermés au commerce avec les anglais, Talleyrand dira alors « que l’on oppose à l’ennemi, les armes dont il se sert ».

L’Angleterre dans un premier temps semble résister à ce blocus. En effet les exportations vers le continent ont, certes, drastiquement diminué mais dans un premier temps le commerce avec l’Amérique augmente d’autant plus, permettant aux anglais de maintenir leur économie, mais aussi et surtout, leur permettant de réaffirmer leur confiance en leurs capacités de résistance face à cette guerre avec le continent. De plus le blocus a pour effet négatif de faire augmenter les prix en Europe continentale, posant problème à l’Empire qui cherche son appui dans le soutient des peuples des territoires nouvellement conquis.

Mais l’aspect le plus pesant pour la France dans l’application du blocus ne sera pas tant économique que géopolitique, en effet pour le maintenir coûte que coûte, celui-ci devant prendre du temps pour faire ses effets sur les britanniques, les guerres deviennent nécessaires. C’est en maintenant la maitrise de l’Europe que le blocus réussira et c’est par la réussite du blocus que l’Angleterre sera vaincue et que la guerre cessera en Europe. Ainsi en attendant que l’Angleterre sois mise à genou par l’étouffement de son économie, la guerre alimentée par l’argent de celle-ci, arrosant alors les élites des grandes nations européennes contre la France, doit continuer afin de s’assurer que le blocus continental se poursuive.

C’est ainsi que les guerres napoléoniennes les plus incompréhensibles au commun des mortels trouvent leurs explications.

La Guerre d’Espagne, véritable épine dans le pied de Napoléon, fait ainsi partie de ces guerres qui ont pour genèse un contentieux lié au maintien du blocus continental. En 1807 Napoléon demande à l’Espagne la possibilité de traverser son territoire avec la grande armée pour envahir le Portugal, allié traditionnel des anglais, qui refuse d’appliquer le blocus.

 Suite à une dispute sur la prétention au trône entre le Roi et l’Infant arbitré par Napoléon, une émeute éclate à Madrid contre les troupes Française et celle-ci est durement réprimée par Joachim Murat, l’Empereur obtenant par la suite la démission du Roi, fortement soupçonné de connivence avec les anglais, et place son frère Joseph sur le trône d’Espagne, commençant donc ce que les espagnoles appelleront leur « guerre d’indépendance ».

Véritable bourbier stratégique, où pour la première fois à une telle échelle les principes de la guerre asymétrique seront employés contre les troupes impériales, donnant naissance à l’expression de Guérilla, cette guerre d’Espagne sera le véritable « Vietnam » pour l’Empire Français, celle-ci durera jusqu’en 1813 et sera un véritable poids pour la Grande Armée tant en termes d’hommes que de ressources.

Si cette guerre, au regard du non initié peut paraitre absurde, celle-ci, au regard de la nécessité du blocus continental, qui est la cause directe avouée de ce conflit, devient parfaitement logique.

 Pour s’assurer la fin de l’hostilité de la part des anglais, il fallait à tout prix maintenir le blocus dans la péninsule ibérique.

En 1812, la malheureuse aventure russe, qui marquera le début de la fin pour Napoléon, sera aussi liée à la problématique du blocus.

La Russie, nécessitant l’exportation de ses ressources à l’Angleterre et l’importation des biens manufacturés dans les industries britanniques, malgré le traité de Tilsit contourne le blocus continental. La Russie, d’autant plus vexée par le choix de Napoléon de se marier à une autrichienne plutôt qu’à la sœur du Tzar, se prépare à une offensive contre la France dans le but de renverser Napoléon et de mettre fin au blocus. Napoléon face à ces contournements, avant même que les russes n’agissent militairement contre lui, passe ainsi à l’offensive.

Ce sera la campagne la plus meurtrière des guerres de la révolution et de l’Empire. Si aujourd’hui le grand public s’interroge sur une telle absurdité, si, principalement abreuvé des mensonges des anglais, on accuse une ambition démesurée de l’Empereur, le fait est que si cette guerre avait été remporté et qu’ainsi le blocus renforcé, l’Angleterre n’aurait sans doute pas pu tenir et continuer son opposition au plan Français pour l’Europe.

En effet, en 1812 le blocus continental avait commencé à faire pleinement ressentir ses effets sur le sol britannique.

 Si elle avait réussi à se maintenir dans les premières année, l’économie britannique a fini par ressentir toute la dureté des sanctions napoléonienne. Particulièrement dans l’industrie qui eu du mal à exporter et donc écouler ses stocks. Des problèmes sociaux on fini par apparaitre sur le sol anglais du fait des conséquence du blocus. Le parlement britannique commença alors à chercher une solution de sortie de crise, notamment par la fin du financement des ennemis de la France. En 1812, au crépuscule de l’Empire, ce blocus qui était la clef de la stratégie de Napoléon face à l’Angleterre, a commencé à frappé et à faire de gros dégât à l’économie anglaise et frappa de ce fait sa cohésion sociale et donc sa capacité à faire la guerre à la nouvelle Europe napoléonienne.

Mais les hasards de l’histoire en décidèrent autrement. 1812 ne serait pas la fin de l’économie anglaise et le triomphe continental de la France. L’histoire s’écrira finalement dans les blizzards russes et dans les eaux gelées de la Bérézina.

Bien des années plus tard les problématiques concernant le libre-échange entre l’Europe continental et l’Angleterre referont surface, toujours avec l’optique anglaise de veiller à voir rester sur le continent un équilibre géopolitique qui lui soit favorable. Napoléon III, contrairement à son oncle, choisira la voix du traité de libre-échange, une première dans l’histoire, pour échanger avec les britanniques, dans une relation économique bénéficiant aux deux nations, et avec la menace d’une hégémonie prussienne en Europe à l’horizon. Le Général de Gaulle, gardant en mémoire les guerre Napoléoniennes, s’opposera à l’entrée de l’Angleterre dans le marché commun, voyant dans cette tentative d’adhésion une ruse des anglais, dans le but de déjouer l’unité du continent au sein d’une organisation qui a épousé les formes des frontières du premier Empire. Enfin, dans les tensions consécutives au Brexit, l’expression de Blocus Continental fut de nombreuses fois utilisée, ravivant un vieux spectre historique nous rappelant par là que les pays gardent finalement la politique de leur géographie.

Défait par la Russie, incapable de remobiliser ses forces contre la coalition, Napoléon abdique une première fois et est envoyé en exile sur l’île d’Elbe. Sa stratégie du blocus s’arrête donc au moment où celle-ci commence à pleinement fonctionner, à quelques mois près, la stratégie anglaise de jouer la montre aurait pu échouer. Revenant de façon éclatante durant les Cent-Jours, L’Empereur est définitivement vaincu à Waterloo et l’Angleterre face à cette force inarrêtable et contrainte de l’enfermer à l’autre bout du monde, sur le rocher de Sainte-Hélène. Loin de l’agitation de la guerre, de l’action politique de ses réformes, l’aigle vieillissant est laissé par l’ennemi aux méditations sur son destin, se ressassant ses plus glorieuses stratégies et les causes de ses défaites, le blocus continental quelque part entre les deux n’ayant finalement et définitivement pas pu être victorieusement renforcé.

Quelques sources :

https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/dossiers-thematiques/le-blocus-continental-decret-de-berlin-du-21-novembre-1806-decrets-de-milan-23-novembre-et-17-decembre-1807/

https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/le-blocus-continental-ancetre-du-marche-commun-europeen/

https://www.napoleon.org/enseignants/documents/video-le-blocus-continental-1806-1814-3-min-51/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Blocus_continental

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27ind%C3%A9pendance_espagnole

https://www.napopedia.fr/fr/Campagnes/blocus

https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Blocus_continental/109144